Extraits de Livres du souvenir

La partie Méthodologie présente une liste des Livres du souvenir des shtetlekh des Milewski et des Ryfman.

Voici deux exemples de ce que j'ai pu trouver en consultant les livres du souvenir lors de ma recherche. Ils proviennent du Livre du souvenir de Zelechow (Yisker-bukh fun der Zhelekhover yidisher kehile, Le livre du souvenir de la communauté de Zelechow) et ont servi de base à de nouvelles recherches.

Les grandes figures de Zelechow

Le Livre du souvenir évoque trois figures de Zelechow : « l’artiste qui a éternisé Zelechow dans la littérature yiddish » : Waïssenberg ; « le poète qui a chanté Zelechow » : Yekhiel Lehrer ; et « le héros du mouvement révolutionnaire juif » : Hershl Toker. Des extraits des œuvres de Waïssenberg et de Lehrer sont publiés.

On trouve des références à ces auteurs dans les anthologies sur la culture et la littérature. En revanche, du « héros révolutionnaire » Hershl Toker, je n’ai trouvé aucune trace…

Itzhok Meïr Waïssenberg1 naît en 1881 à Zelechow et meurt en 1938 à Varsovie. Nouvelliste, disciple de l’écrivain Peretz, il décrit la vie du shtetl, ses histoires quotidiennes, le poissonnier, le menuisier et le cordonnier, les conditions de vie et de travail, les conflits de génération. Lui-même était un ancien ouvrier brossier. Il commence à publier en 1904, dans différentes revues littéraires à Varsovie et à Vilno. Dans Une génération s’en va, une autre arrive (1904), il raconte la vie d’un cordonnier pauvre, les roubles qu’il faut trouver pour le repas de fête, puis sa mort et les roubles que sa famille doit emprunter pour le linceul ; le fils remboursera un jour. Cette nouvelle s’apparente à celles écrites à cette époque par les tenants du mouvement des Lumières (Haskala), et qui décrivent ce que Rachel Ertel appelle le temps immobile, l’espace clos du shtetl. Dans La Folle du village (1905), Waïssenberg raconte l’histoire d’une jeune fille qui refuse de se voir imposer un mari. A Shtetl (19062) décrit le conflit entre la vieille génération, emprunte de tradition et soumise aux responsables religieux, et la génération montante, réceptive au bundisme et au socialisme, et qui préfère les armes aux psaumes. Dans cette histoire, qui commence dans la maison d’étude et de prière, le shames (bedeau) annonce que seule la farine achetée chez les marchands de blé locaux sera conforme à la kashrout pour la fabrication des matzès. Les jeunes travailleurs, menés par Yekl le menuisier, se rebellent et montent sur l’estrade pour dénoncer le monopole des possédants qui exploitent la piété des petites gens. Ils sont chassés à coups de poing. Le shtetl continue de vivre au rythme des fêtes, des rites et des cérémonies, mais des grèves opposent les travailleurs, qui s’organisent, aux patrons. La révolution de 1905 arrive jusqu’au shtetl. La répression tsariste s’abat. La confrontation au pouvoir se double de celle entre les jeunes Juifs et le rabbin et ses adeptes. Le rapport de forces s’inverse. Finalement, Yekl et les jeunes appellent à la révolte du haut de l’estrade de la maison d’études et de prières3. Un père et ses fils, Hanele, La fille des bois, Une mauvaise femme, Kraïndele, Un jour d’été, Grinstein l’enseignant, Un noyé paraissent entre 1904 et 1913.

Dans les nouvelles de Waïssenberg, où sont raillés les notables, on perçoit la prise de conscience des ouvriers juifs ; sont décrites les grèves, les manifestations, la rébellion contre le pouvoir tsariste, mais aussi contre les patrons locaux. Après la mort de Peretz en 1915, il crée des tribunes littéraires (Le courant, 1924, Notre espoir, 1932) où il publie des œuvres de jeunes auteurs. Il polémique avec le monde littéraire établi de Varsovie et publie des pamphlets (Le démon moderne, 1930). Il traduit les Contes des mille et une nuits (1932).

Il a fait un voyage aux États-Unis en 1923, puis est rentré à Varsovie où il meurt en août 19384.

On trouve quelques traductions en français de ses œuvres, en particulier : Une génération s’en va, une autre arrive et Ce qui peut advenir5.

Le Livre du souvenir de Zelechow décrit, en 30 pages, sa vie, son œuvre, son influence, sa famille… et des souvenirs personnels d’habitants (Waïssenberg tel que je l’ai connu, Mes souvenirs de Waïssenberg).

Régine Robin6 souligne que dans les écoles en yiddish qui se sont développées en URSS dans les années vingt, en particulier en Biélorussie et en Ukraine, A Shtetl de Waïssenberg était au programme des cours de langue et de littérature.

Yekhiel Lehrer7 naît en 1910 à Zelechow et meurt en 1943 dans le ghetto de Varsovie.
Son œuvre est beaucoup moins préservée et traduite que celle de Waïssenberg.

Les anthologies de poésie yiddish traduite en français n’en font pas mention. Peu de références donc, y compris biographiques. Itzhok Niborski souligne8 que « Les dernières années avant la guerre sont marquées par la crise, la montée de l’antisémitisme et le pressentiment de la catastrophe… L’imminence de la destruction suggère un ton élégiaque très marqué à des évocations comme le long poème Mayn heym (Mon foyer, 1937), de Yehiel Lerer. Le tableau réaliste tend vers la légende au fur et à mesure qu’approche pour ses auteurs l’heure de l’exil au mieux, et le plus souvent du massacre. » Ce poème est reproduit dans le Livre du souvenir, qui consacre une quinzaine de pages à la vie et à l’œuvre de Yekhiel Lehrer.

Un mariage au cimetière pendant la guerre

(Résumé d’un article du yizker-buh de Zelechow.)

Pendant la guerre, pour conjurer l’épidémie de typhus qui décimait le ghetto, la Communauté a décidé de célébrer, selon le rite traditionnel, un mariage dans le cimetière. Toujours selon la coutume, il fallait célébrer en même temps, dans le grenier de la maison d’études, les obsèques rituelles de livres sacrés usés et déchirés, de sorte que le mariage soit aussi des funérailles. Il a été difficile de trouver le couple volontaire, mais il fut finalement trouvé. Les futurs mariés acceptèrent à condition de recevoir des vêtements. La Communauté acheta des chiffons pour fabriquer les vêtements et donna des sabots de bois. La procession de mariage fut suivie par plusieurs charrettes de vieux livres, par le rabbin, les sages, et finalement par presque tous les habitants du ghetto. Les musiciens jouaient, mais l’humeur était amère. Au cimetière, on enterra d’abord les livres, puis on célébra le mariage avec tous les détails appropriés. Les prières dites pour écarter l’épidémie étaient suivies de « Mazel tov ». Le couple fut conduit dans la salle de mariage du Judenrat, et une fête fut organisée. La police juive était chargée par le Judenrat de maintenir l’ordre9. La foule s’amusait et les mariés étaient contents. Les dons aux mariés atteignirent une somme substantielle. On composa des vers, chantés par la foule.

Ainsi fut célébré le mariage au cimetière… afin de sauver les Juifs du typhus, dont l’épidémie s’amplifiait à la fin de 1941 et au début de 1942.

La photo de ce mariage, avec la mariée en blanc et le dais nuptial noir, n’est pas reproduite dans le Livre du souvenir. Mais on la trouve dans la documentation photographique de plusieurs instituts.

Un mariage au cimetière de Zelechow pendant la guerre.

Source : Ghetto Fighters House, USHMM.

1. Attention aux orthographes ; on trouve aussi : Itshe-Meyer Vaissenberg, Isaac Meir Weissenberg, Itzhoc-Meyer Veissenberg. De même, son lieu de naissance, Zelechow, peut être écrit : Yélikoff, Jelchov… C’est une illustration de plus de la difficulté des translittérations… et de la nécessité, quand on fait des recherches sur des noms de personnes ou de lieux, de tenter toutes les orthographes approchantes (voir à ce propos les remarques préliminaires de la partie Méthodologie).

2. Écrit en 1906, il paraît d’abord en feuilleton, avant d’être publié en livre en 1909.

3. D’après la synthèse de Rachel Ertel dans Le shtetl, op. cit.

4.  Sources :
Encyclopaedia Judaïca.
Notices bio-bibliographiques du livre de Rachel Ertel : Une maisonnette au bord de la Vistule, Albin Michel, 1988.
1000 ans de culture ashkénaze, collectif, Liana Levi, 1994.

5. Rachel Ertel, op. cit., et Anthologie des conteurs Yiddish, traduite par L. Blumenfeld, Éditions Rieder, 1922.

6. Régine Robin, L’amour du yiddish, Sorbier, 1984.

7. Voir aussi Yehiel Lerer.

8. 1000 ans de culture ashkénaze, collectif, Liana Levi, 1994.

9. Le cimetière était en effet à l’extérieur du ghetto.

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