La Pologne avant la guerre
Le développement des shtetlekh au XIXe siècle dans la « Zone de résidence juive », qui regroupait une partie de la Pologne et de la Russie, vient de l'interdiction faite aux Juifs de posséder la terre et de l'exclusion des Juifs des grandes villes du centre de la Russie. L'antisémitisme s'est développé au XXe siècle comme antisémitisme d'État, les Juifs étant le bouc émissaire des difficultés économiques, et comme antisémitisme quotidien, les Juifs étant accusés, dans les années dix et vingt en Pologne, alternativement de collaboration avec les Allemands ou avec les Russes ; dans les années trente, antisémitisme populaire et mesures de discriminations et d'exclusions professionnelles s'alimentent mutuellement. Pogroms et pauvreté conduisent de nombreux Juifs à chercher à émigrer.
La spécificité des communautés juives vient aussi de ces mesures d'exclusion, lointaines et contemporaines. La yidishe gas (la rue juive), les luftmentshn (les gens qui vivent de l'air, faute de mieux), les shnorer (les mendiants) sont évoqués ici.
Mais ces communautés n'étaient pas figées : elles étaient elles-mêmes soumises à des tendances contradictoires, entre tradition et modernité, tant sur les plans religieux que social, politique et culturel. Les Juifs des shtetlekh n'étaient pas tous en caftan et papillotes, contrairement à ce qu'une vision réductrice voudrait bien le laisser croire aujourd'hui.
Les contes mettent en scène ces réalités contradictoires, la tradition orale des histoires suffisent à les animer, pas à en expliquer les fondements. D'où la présence ici de ces repères, qui éclairent les itinéraires individuels en Pologne en donnant par exemple des détails sur des courants religieux - le hassidisme et la Haskala -, ou encore en analysant la situation des Juifs dans l'entre-deux-guerres, en décrivant à la fois les conditions économiques, l'accumulation des mesures discriminatoires, les organisations de la Communauté, l'effervescence associative, politique et culturelle, le débat sur la langue, etc.
Juif et …
Juifs et Polonais, Juifs et catholiques, Juifs et goyim, Juifs et non Juifs, Polonais juifs et chrétiens… Quelle dénomination adopter ?
Derrière cette question, il y a bien sûr tout le débat sur la nation, le peuple, la religion… Tous les textes de l'époque ou sur l'époque, qu'ils soient écrits ou non par des Juifs, parlent des Juifs et des Polonais. Il n'y a guère que quelques auteurs occidentaux, jeunes en général, qui prennent des précautions de style, n'opposant pas Juifs et Polonais mais Polonais juifs et Polonais non-juifs, correspondant davantage à la réalité qu'ils vivent qu'à celle de la Pologne de 1939.
Mais on ne peut transposer la réalité de l'intégration occidentale à celle de la Pologne d'avant-guerre, où deux mondes vivaient séparément. C'est pourquoi, dans tous les développements qui suivent, c'est l'opposition Juifs et Polonais qui a été retenue. Pendant la guerre, les Allemands avaient même fini par imposer l'opposition entre les « quartiers juifs » de Varsovie et les « quartiers aryens ». Le mur du ghetto séparait la ville aryenne de la ville juive, comme si les Polonais avaient été des aryens…
Dans cette partie
Cette partie apporte les éléments nécessaires à une meilleure compréhension du contexte culturel et religieux des Juifs en Pologne au début du XXe siècle.
On y trouvera des éclaircissements, aussi bien sur ce que sont le hassidisme et la Hasakala et le contexte géopolitique de la région avant la guerre (les frontières mouvantes, l'antisémitisme et les discriminations, etc.), que sur la vie des Juifs en Pologne avant-guerre : comment se côtoyaient les populations juive et polonaise et l'intégration de la première dans la seconde, des tableaux de population, l'organisation de la bourgade juive, le shtetl, et les structures et organisations juives en Pologne (le Bund, les organisations sionistes) comme à l'étranger (le Joint).