La Pologne jusqu'à la Seconde Guerre mondiale

Avant la Première Guerre mondiale

Jusqu'à la Première Guerre mondiale, la Pologne est sous domination de l'empire russe. Après les défaites napoléoniennes, les frontières ont en effet été redessinées : la Pologne du Congrès (ou Royaume du Congrès) , petit territoire qui inclut Varsovie, Lodz, Radom et Lublin, est mis sous domination russe. À l'Est, la « Zone de résidence juive », qui va de Bialystok, Brest-Litovsk et Vilno jusqu'à Kiev, est annexée par la Russie. À l'Ouest, la région de Poznan est annexée par la Prusse. Au Sud, la Galicie (Cracovie et Lvov) est annexée par l'Autriche (voir les cartes plus bas).

L'assassinat du tsar Alexandre II en 1881 va conduire, tant dans la Zone de résidence que dans la Pologne du Congrès, à des pogroms puis au développement de législations antisémites. L'appauvrissement dû à l'essor du capitalisme, qui détruit les activités artisanales, est accentué par des mesures d'exclusion ; par exemple, l'interdiction de posséder des terres va déplacer les Juifs des villages et hameaux vers les bourgs ; l'exclusion des grandes villes du centre de la Russie va dans le même sens. Ainsi, le shtetl (la bourgade à forte population juive) prend de l'importance, d'autant qu'il devient le lieu de solidarité des membres de la communauté (voir le repère sur le shtetl). Dans certains d'entre eux, la population juive devient majoritaire.

En Pologne, où il n'y a pas eu d'exclusion des villes, un tiers des Juifs vit dans les grands centres industriels, les deux autres tiers vivent dans les shtetlekh, souvent proches des grands centres. L'essentiel des Juifs vit du commerce et de l'artisanat. Même dans les grands centres industriels, notamment textiles, la plupart des Juifs travaillent à domicile, à façon.

La misère est générale. L'expression luftmentshn (les gens qui vivent de l'air) fleurit dans les textes et les chansons.

Au début du XXe siècle, le shtetl se transforme progressivement et devient un lieu de débats. Des courants politiques émergent (voir les repères sur le Bund et les organisations sionistes). La révolution russe de 1905 concrétise les engagements et les différenciations.

La Première Guerre mondiale

Dans la Zone de résidence se développe un antisémitisme d'État ; les pogroms sont favorisés par le régime tsariste, y compris pendant la Première Guerre mondiale, lors de laquelle les Juifs sont accusés d'espionnage.

Dans le Royaume du Congrès, l'antisémitisme s'amplifie pendant la guerre. Les expulsions de villages se multiplient, les aides aux plus démunis sont en général refusées aux Juifs, la presse en yiddish est interdite en 1915 car cette langue « allemande » est dangereuse dans un conflit avec l'Allemagne. Cette dernière occupe la Pologne à partir de l'été 1915 ; bien que certains éléments de sa politique soient défavorables aux Juifs1, elle rétablit les libertés civiques et de langue ; les revues juives paraissent à nouveau et de nouvelles sont créées ; les organisations politiques juives, réduites auparavant à une semi-clandestinité, se développent. Ce sera un prétexte à une nouvelle montée de l'antisémitisme en Pologne.

Un livre polonais sur Falenitz illustre cette situation : « Le quartier juif s'était développé jusqu'en 1914. Avec la guerre, les vacanciers sont partis et les aliments ont pourri. Falenica s'approchait de la décadence. Les soldats polonais volaient et détruisaient les propriétés juives près de la gare. Une partie des Juifs s'est enfuie. Les Juifs avaient en effet bien accueilli les Allemands, dont ils admiraient le savoir. Certains étaient même engagés par la police ; ils mettaient alors leurs habits de fête pour porter le brassard de la police. Avant de s'enfuir, ils vendaient leurs maisons, pour le bois, et ceux qui avaient le plus d'argent achetaient un cheval. Ils faisaient aussi du marché noir avec l'Autriche. (…) Parmi les Polonais, la haine portée à l'occupant allemand s'est étendue aux collaborateurs juifs. Les relations entre les Polonais et les Juifs sont devenues mauvaises. D'autant que les jeunes Juifs ont accueilli avec enthousiasme la révolution russe de 1917. Des cercles de discussion se sont développés le vendredi soir. Après 1917, les Juifs ont subi des discriminations, en tant que collaborateurs allemands. »2

Cartes des déplacements de frontières de 1815 à 1918

Les partages de la Pologne, 1815-1918. Du Royaume de Pologne à la Pologne du Congrès et à la Zone de résidence juive annexée par la Russie. 1815-1918. Les divisions administratives de la Pologne en 1917.

La Pologne a été redessinée après les défaites napoléoniennes. La Pologne du Congrès est mise sous domination russe. La "zone de résidence juive" est annexée par la Russie. À l'ouest, la région de Poznan est annexée par la Prusse ; au sud, la Galicie par l'Autriche.

Du royaume de Pologne à la Pologne du Congrès et à la zone de résidence juive annexée par la Russie. 1815-1918

Les divisions administratives de la Pologne en 1917.

L'entre-deux-guerres

La révolution russe de 1917 et la fin de la Première Guerre mondiale bouleversent la géographie politique de la région.

En URSS, le judaïsme prend des formes particulières : il est d'abord reconnu en tant que nationalité, mais vidé de sa composante religieuse (développement d'écoles en yiddish au détriment de l'hébreu). Un État juif, le Birobidjan, sera même créé3 ! La question nationale est l'objet de multiples débats, mais le plus souvent réducteurs. Les élites juives sont liquidées dans les années trente et le « complot des blouses blanches » concrétisera le nouvel antisémitisme d'État dans la période stalinienne.

Aux lendemains de la guerre, la Pologne est reconstituée en tant qu'État indépendant et sur un territoire étendu. En 1919, le traité de Versailles définit les nouvelles frontières, étendues à l'Ouest par la Posnanie (avec le corridor de Dantzig, qui lui donne l'accès à la mer, l'Allemagne conservant la Prusse orientale), au Sud (par la Silésie et la Galicie) et à l'Est (ligne Curzon). Ces frontières de l'Est font l'objet de plusieurs conflits avec l'URSS, y compris militaires : l'armée polonaise va jusqu'à Kiev en 1920, et la riposte de l'Armée rouge la conduit jusqu'aux portes de Varsovie, où la coalition polono-occidentale l'arrête. Lors de plusieurs traités, dont celui de Riga en 1921, la Pologne obtient plusieurs territoires à l'Est, qui vont bien au-delà de la ligne Curzon et définissent ses frontières jusqu'en 19394. Une partie de la Biélorussie et l'Ukraine occidentale font désormais partie de la Pologne. Au début de 1922, elle obtient également la région de Vilno.

Ainsi, les principaux centres de la vie juive, y compris ceux de l'ancienne Russie (Lvov, Tarnopol, Brest-Litovsk, Pinsk, Bialystok, Grodno, Vilno) font désormais partie de la Pologne. Celle-ci dispose d'un territoire de 388 000 km2 et d'une population de 27 millions d'habitants, dont 67 % de Polonais, 17 % d'Ukrainiens, 10 % de Juifs (le reste se répartissant essentiellement entre Allemands, Biélorusses, Lituaniens, Russes et Tchèques).

Au traité de Versailles est annexé un traité de protection des minorités, sous le contrôle de la Société des Nations : égalité des droits civils et politiques pour les minorités, liberté de conscience, reconnaissance de la langue, subventions aux écoles, non discrimination économique, et, spécifiquement pour les Juifs, reconnaissance du shabbat comme jour chômé. Ce traité sera même intégré à la Constitution polonaise de 1921. Il ne sera guère respecté et sera même dénoncé au milieu des années trente.

La reconstruction d'une Pologne indépendante, 1918-1922. Les frontières resteront telles quelles jusqu'en 1939.

Le régime politique de la Pologne connaît trois phases dans l'entre-deux-guerres : un régime parlementaire jusqu'en 1926, un régime de parti unique de 1926 à 1935 (Pilsudski), puis un régime de dictature des colonels de 1935 à 1939. L'arrivée au pouvoir de Pilsudski en 1926, bien qu'acquise contre la droite nationaliste antisémite, se traduit par un regain de mesures anti-juives. Le caractère autoritaire du régime se renforce dans les années trente. Les Juifs sont les boucs émissaires des difficultés liées à la crise économique de 1929.

Cette période de l'entre-deux-guerres est marquée par plusieurs phénomènes. À l'antisémitisme populaire répondent des mesures discriminatoires systématiques, politiques et économiques. Les Juifs subissent un appauvrissement important. En même temps, la spécificité du judaïsme polonais, la Yiddishkeït, se traduit par une forte créativité artistique, le développement de la vie associative, des cercles culturels, de la presse et des écoles (voir les Repères suivants) ; les différenciations internes entre modernité et tradition s'accentuent ; le débat politique et social s'intensifie. Le débat sur la langue (polonais, yiddish ou hébreu) en est une concrétisation. La question de l'identité, unique ou multiple, traverse la littérature comme la politique.

Sources :
Le Shtetl, Rachel Ertel, Payot, Paris, 1986.
Jewish roots in Poland, Miriam Weiner, YIVO, New York, 1997.
Encyclopaedia Universalis.
Atlas of modern jewish history, Evyatar Friesel, Jerusalem, 1990.

1. La politique de réquisition et le pillage par les occupants concerne toute la population ; les Juifs, parce que petits commerçants et artisans, vont être touchés plus que d'autres. La misère va les frapper plus durement car ils n'ont pas la possibilité de se replier vers les campagnes et de faire jouer les solidarités familiales comme pourront le faire les Polonais. Enfin, si les libertés politiques sont rétablies, la célébration des fêtes religieuses est empêchée.

2. Jadwiga Dobrzynska, Falenica moja milosc po raz drugi [Falenica, mon amour pour la seconde fois], Damico, Varsovie, 1996.

3. Le Birobidjan, Région autonome juive d'URSS, est créé en 1934, dans une région désertique de Sibérie orientale. Cette création traduisait la volonté du pouvoir de résoudre le « problème juif ». La langue officielle était le yiddish. Après un développement économique et culturel, la région périclita. En même temps que les purges des années trente, les écoles en yiddish furent fermées. Après la guerre, en revanche, le pouvoir favorisa l'émigration vers la région, où l'enseignement en yiddish fut rétabli et la presse développée. Mais dès 1948, Staline fit un nouveau revirement : l'antisémitisme se concrétisa par le « complot des blouses blanches » et la lutte contre le « cosmopolitisme » : les dirigeants de la RAJ furent arrêtés et certains exécutés. La région a subsisté, dans les années cinquante, mais isolée. Elle comptait 30 000 Juifs en 1948, 7 000 dans les années quatre-vingt-dix. Après la Perestroïka, la plupart des Juifs d'URSS ont émigré vers Israël.

4. Celles-ci seront de nouveau redessinées avec le pacte germano-soviétique et l'invasion allemande : voir les précisions dans ce repère.

haut de la page