Quelques commentaires sur les recherches
Avant toute chose, le point de départ des recherches doit nécessairement être d'accumuler le maximum d'informations familiales. Simple à dire mais pas à faire, car les « trous » de mémoire de la seconde génération sur un passé qu'elle ne pouvait ou ne voulait pas s'approprier sont importants. Il n'empêche que des documents anodins enfouis dans les tiroirs donnent des indications de dates, de lieux, d'adresses. Ce sont autant de points de départ pour aller chercher plus loin.
Il est ensuite nécessaire de chercher toutes les orthographes approchantes des noms de personnes et de lieux, non seulement parce que le Y en yiddish est un J en polonais, mais parce que toutes les erreurs et approximations de transcription sont possibles et fréquentes. La Zone de résidence juive a véhiculé de nombreuses langues. Les villes ont souvent changé de noms, et pour un même nom les consonances polonaise et yiddish diffèrent. Les noms de famille et les prénoms étant diversement orthographiés, il faut admettre les variations. Mais à force d'orthographes approchantes, on risque parfois les fausses pistes…
Il est enfin indispensable de connaître les lieux, en particulier pour les petites localités, afin de comprendre à quels rabbinats ils étaient rattachés, et comment ont été formés les ghettos, quels déplacements de population ont eu lieu. En y retournant après avoir accumulé des documentations nouvelles, on peut à nouveau progresser dans la recherche.
Au total, mêler bribes de souvenirs de famille, voyages en Pologne et recherches documentaires dans les différentes institutions qui abritent les archives permet de reconstituer beaucoup de fils de l'histoire.
Le reste est fait de hasards. Des idées s'ouvrent lorsque l'on trouve quelque chose, même si c'est très anodin en apparence, ou se ferment parfois.
Il est fait de simplicité : pour connaître le lieu de naissance en Pologne de ma grand-mère, survivante qui avait rejoint la France après la guerre, il a suffi de s'adresser à une mairie parisienne et de demander son acte de décès.
Il est fait de ténacité, voire d'acharnement, par exemple à ne pas croire spontanément un employé d'état civil en Pologne qui affirme qu'il n'y a rien. Ou à continuer de chercher sans se décourager : j'ai trouvé le premier acte d'état civil d'un membre de ma famille paternelle à la fin de mon cinquième voyage. Cela m'a permis de retrouver ensuite bien d'autres informations.
Il est fait de méthode, comme pour toute recherche ; méthode systématique pour recouper, trouver les incohérences (et elles sont nombreuses), prendre conscience des approximations. Pour toutes les dates, il faut des vérifications, des recoupements et des schémas. On ne résout pas toutes les incohérences, mais on peut lever quelques doutes.
Il est fait de conviction, pour ne pas s'interrompre devant la difficulté non seulement à trouver, mais aussi à lire ce que l'on trouve. Il faut une bonne dose de distanciation pour tourner les pages des registres polonais, feuilleter les fiches des survivants à Varsovie, faire défiler à Paris les microfiches du fichier juif et lire les commentaires des administrateurs provisoires de l'aryanisation des entreprises.
Le barrage de la langue est un handicap : idéalement, il faudrait pouvoir lire et parler le yiddish, l'hébreu, le polonais, l'allemand et l'anglais. C'est rarement le cas. On peut évidemment surmonter cet obstacle avec des interprètes et des traductions.
La numérisation des archives et leur accès croissant sur Internet facilitent grandement les choses. Mais il est illusoire de croire qu'il suffit de taper un nom de famille pour voir apparaître tout l'arbre généalogique de sa famille et les conditions précises de l'extermination des victimes. Aucun site web à l'heure actuelle ne centralise toutes les photos existantes d'un shtetl ; il faut donc les consulter tous.
Il n'empêche qu'il est possible de retrouver des éléments des parcours familiaux, d'accumuler les morceaux du puzzle, de sauver de l'oubli des parcelles d'histoires individuelles et collectives.