Le Bund
Le Bund (Algemeyner Yidisher Arbeiter Bund fun Lite, Poyln un Rusland, Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, Pologne et Russie) est un mouvement révolutionnaire juif créé en octobre 1897 à Vilno. L'industrialisation de l'empire russe avait progressivement créé un prolétariat nombreux, issu de la paysannerie. Le prolétariat juif avait une double spécificité : économique - issu de l'artisanat, et non de l'agriculture, il est resté concentré dans des secteurs particuliers tels le textile -, et culturelle - l'identité nationale et la langue yiddish le distinguaient du reste du prolétariat. Avec les vagues successives d'antisémitisme d'État, les ouvriers juifs étaient soumis à la fois à l'oppression économique et aux discriminations politiques et raciales. « Les ouvriers juifs sont opprimés à la fois en tant que travailleurs et en tant que Juifs ».
Le développement des idées socialistes et le renouveau culturel de l'intelligentsia juive alimentent de nombreux débats. L'assimilation des Juifs, qui se réalise en Europe occidentale, est impossible à l'Est : la vie est séparée dans le shtetl, qui est une forme de ghetto. La revendication de l'égalité des droits et la lutte contre l'antisémitisme constituent des axes programmatiques du Bund, au même titre que les revendications sociales. « Ni l'assimilation, ni l'émigration, mais la lutte sur place avec les travailleurs et les socialistes des autres groupes nationaux qui vivent en Russie ».
L'emploi de la langue yiddish apparaît comme indispensable dans la propagande, en particulier dans la presse. À la défense des intérêts sociaux s'adjoint la défense des intérêts nationaux. Le Bund devient très vite, au travers de ses comités d'autodéfense qui protègent des pogroms les locaux syndicaux mais aussi les synagogues, un centre important de la vie juive. Le développement du Bund est rapide : il devient une organisation de masse, à la fois parti politique et organisation professionnelle. C'est une organisation laïque.
Un an après sa naissance, le Bund avait été partie prenante, en tant que tel, de la création du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR, futur parti bolchevik), en 1898 ; mais les divergences s'accumulent vite et une rupture intervient dès 1903.
La question nationale et celle de l'autonomie culturelle sont intensément débattues au Bund. Wladimir Medem prône l'autonomie nationale culturelle dans le cadre d'une fédération des peuples. La « doykayt » consiste à s'enraciner dans sa terre natale et à revendiquer le droit d'y vivre. En ce sens, il se distingue des organisations sionistes qui se créent à la même période. Le Bund est nationalitaire et internationaliste. D'autre part, les sionistes ont vocation à mobiliser l'ensemble des Juifs (et l'on distingue les sionistes de gauche et les sionistes de droite), alors que les bundistes organisent les travailleurs.
Entre 1905 et 1914, du fait de la répression politique après l'échec de la révolution de 1905, le Bund développe des actions culturelles, des écoles, etc. Il perd de son importance en URSS après la révolution de 1917, il est même supprimé en 1921, mais il continue de se développer en Lituanie et en Pologne.
La Pologne est devenue indépendante depuis 1918. Toutes les organisations, bundistes, sionistes, communistes s'y développent, malgré la répression, même après l'instauration du pouvoir autoritaire de Pilsudski en 1930 et de la « république des colonels », semi-fasciste, en 1935. Le Bund crée des syndicats, des écoles, des dispensaires. Il a un mouvement de jeunesse : le Yugnt Bund Tzukunft, Jeunesse du Bund Avenir, créé en 1919, qui fonde des sections professionnelles, organise des groupes sportifs, des chorales, des cercles culturels, des bibliothèques et connaît un développement considérable. Le SKIF (Sotsialistisher Kinder Farband, Union des enfants socialistes juifs) est créé en 1926 et organise de nombreuses activités et camps de vacances. Le sanatorium pour les enfants d'Otwock-Miedzeszyn est ouvert en 1926. La Ligue de la culture (Kultur Lige), créée en 1918 à Kiev, connaît son apogée en Pologne dans les années vingt. Des réseaux d'écoles mixtes et laïques sont organisés pour contrebalancer l'enseignement religieux traditionnel : y participent le Bund et des organisations sionistes de gauche et sionistes-socialistes ; le yiddish est la base de l'enseignement.
Dans l'entre-deux-guerres, le syndicalisme juif s'intensifie en Pologne, malgré l'émiettement des unités de production : unions professionnelles et caisses de solidarité structurent les grèves et les manifestations à partir du début des années trente. La dégradation de la situation économique et les flambées d'antisémitisme accentuent la mobilisation à la fin de la décennie. Le Bund est majoritaire parmi les travailleurs juifs : parti juif le plus important, il anime un véritable mouvement de masse. Majoritaire aux élections communautaires de 1936, il remporte également un grand succès aux élections municipales de 1938. Il est actif sur les terrains syndical, politique, culturel et éducatif.
Après l'invasion allemande, il devient clandestin. Une partie de sa presse continue de paraître. En février 1941 est édité un nouveau mensuel, en polonais, « Pour notre liberté et la vôtre ». Le Bund cherche à mobiliser la population du ghetto de Varsovie et à lutter contre son découragement, il publie des informations sur les camps, organise l'autodéfense, puis prépare l'insurrection. Il est partie prenante de l'Organisation juive de combat, créée en octobre 1942. Marek Edelman fait partie de sa direction.
Le dernier numéro de l'organe du Bund (Der Veker, « Le Réveil ») paraît en avril 1943, avant le déclenchement de l'insurrection.
Des bundistes collent des affiches
pendant une campagne électorale.
Source de l'image : The vanished world, New York, 1947.
Une description plus détaillée du Bund (en anglais) est téléchargeable sur le site du YIVO.
Sources :
Histoire générale du Bund, Henri Minczeles, Austral, 1995.
Mille ans de cultures ashkénazes, collectif, Liana Levi, 1994.
Le Shtetl, la bourgade juive de Pologne, Rachel Ertel, Payot, 1986.
Le pain de misère, histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, Nathan Weinstock, La Découverte, 1984.