La Communauté juive

Face à la dégradation de la situation économique et aux mesures discriminatoires, des réseaux d'entraide s'organisent : cantines populaires, maisons d'enfants, accueil de réfugiés, aides financières aux artisans et commerçants, aux consommateurs et aux victimes de pogroms. Des Caisses locales de crédit se créent, des mouvements associatifs se développent. Le Joint appuie financièrement ces tentatives de pallier l'étouffement économique.

L'intégration dans les structures officielles polonaises

Des partis politiques juifs se constituent, y compris sur le terrain parlementaire au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans le cadre de l'Assemblée constituante et du débat sur les droits des minorités. Mais le refus de l'autonomie culturelle par le gouvernement polonais marginalise la dimension parlementaire, d'autant qu'à partir de 1930, le durcissement vers un régime autoritaire réduit le poids de la représentation parlementaire.

Cependant, le refus gouvernemental de l'autonomie politique et culturelle est en partie compensé par l'acceptation d'une autonomie religieuse. Le gouvernement de Pilsudski promulgue en 1927 une loi concernant la Kehila (représentation de la Communauté), qui régit les droits des Communautés religieuses et qui permet une certaine forme d'autonomie. Les Juifs de Pologne sont répartis en 599 Kehilot, ayant le statut d'association. Elles ont compétence dans les domaines religieux et philanthropique, mais pas dans le domaine politique. Dans les villes de moins de 5 000 habitants, la Communauté est dirigée par un bureau exécutif ; dans les grandes villes, ce bureau est complété par un Conseil (Kahal) dont le rabbin est membre d'office. Ces structures sont élues par les hommes, à bulletin secret et à la proportionnelle.

Le Conseil de la Communauté juive de Falenitz en 1938. Au premier rang en partant de la droite : Mendele Melcer, Awigdor Urterol (président), Josef Liberman, Herszel Gelbtrunk. Debout en partant de la droite : Mosze Kempner, Edelsztajn, Gakow-Kenigsman, et un représentant du Wawer (la région).

Le Conseil de la Communauté juive de Falenitz en 1938.
La légende est en yiddish et en hébreu dans le Livre du
souvenir de Falenitz, et en polonais dans le livre sur
Falenitz.

Sources :
Sefer Falenica (Livre du souvenir de Falenitz), Tel Aviv, 1967.
Falenica, Varsovie, 1996.

Un Conseil central regroupe les Communautés locales. Il est composé de 34 personnalités non religieuses et de 17 rabbins. Institution de l'autonomie juive traditionnelle, il est à la fois une structure d'aide aux plus démunis - dans des conditions très difficiles, faute de ressources suffisantes pour faire face à la paupérisation des années trente - et donc un moyen de lutte pour l'existence du groupe, mais aussi une forme de collaboration avec un gouvernement hostile, renforçant le pouvoir des notables et s'opposant de plus en plus à la radicalisation des jeunes Juifs. À partir de 1930, les orthodoxes obtiennent le droit d'éliminer des listes électorales aux conseils tous ceux qui critiquent la religion juive, donc les partis socialistes, sionistes et autonomistes.

Le développement de la vie juive

À côté et en opposition aux structures traditionnelles, se développent des mobilisations sociale, politique et culturelle. Une profusion de partis, d'associations, de confréries, de guildes, de groupes culturels, de ligues éducatives, d'écoles, etc. caractérisent la période de l'entre-deux-guerres. Par exemple, en 1935 la presse en yiddish comporte 27 quotidiens, 100 hebdomadaires, 24 bimensuels, 58 mensuels et 16 organes à périodicité variable. Leur diffusion est générale dans tous les shtetlekh. Avant la guerre, 80 journaux juifs paraissaient à Varsovie.

La presse yiddish et hébraïque à Varsovie, 1910-1920. Les journaux en yiddish, 1919-1938. Un kiosque à journaux.

Source :The vanished world, R. Abramovitch & R. Vishniak, Forward Association, New York, 1947.

Les organisations politiques assurent aussi des tâches éducatives et culturelles, et établissent des réseaux de sociabilité, en particulier dans la jeunesse au sein de laquelle s'établit une culture alternative, et chez les jeunes femmes qui accèdent à une place que leur refusent les communautés traditionnelles (voir les repères sur le Bund et sur les organisations sionistes).

L'effervescence éducative et culturelle est spectaculaire. À côté de l'enseignement traditionnel religieux, en hébreu, dans les yeshivot et les talmudei-torah, et de l'enseignement public qui a obligation depuis le traité de Versailles de dispenser un enseignement religieux en plus du programme officiel (avec le shabbat comme jour de congé pour les Juifs), se développent des écoles juives d'une grande diversité : la Fédération pour la promotion des écoles juives, proche de la bourgeoisie, dispense un enseignement essentiellement en polonais, et, pour les matières religieuses, en hébreu ; les sionistes religieux constituent le réseau Yavne ; certaines écoles sont trilingues ; la CYSHO (Tsentrale Yidisher Shul Organizatsie), issue de la conception de l'autonomie culturelle, est fondée en 1921 sur un principe yiddishiste et séculariste ; d'un athéisme militant, elle innove également par ses méthodes pédagogiques.

La production littéraire explose en l'espace de deux générations, dans tous les genres, roman, théâtre et poésie. Différents courants littéraires voient le jour - classiques ou avant-gardistes - et sous toutes les formes - réalisme, naturalisme, symbolisme ou fantastique.

Le débat linguistique traverse les sphères politique, éducative et culturelle1

Une discussion sur la langue avait été menée en 1908 à la conférence de Czernowitz, en Bucovine, au Sud-Est de la Galicie. Le débat sur le yiddish, langue populaire ou langue nationale, avait abouti à sa reconnaissance comme une des langues nationales du peuple juif. Le yiddish demeurait cependant contesté, considéré comme devant rester cantonné à l'oral, à l'univers populaire et féminin. Il était parfois qualifié de « jargon », sans norme ni grammaire. Il était contesté à la fois par les tenants de la russification et par les hébraïsants, qui souhaitaient l'unicité d'une langue nationale.

Des centres de recherche se constituent : le YIVO (Yidisher Visnshaftlekher Institut) est créé à Vilno en 1925. Il donne à la culture yiddish, jusque là considérée comme essentiellement populaire, son statut. Il rassemble des documents d'archives, constitue des bibliothèques et élabore concepts et nomenclature du yiddish (entre autres, prononciation et règles de translittération). Durant ses quinze premières années d'existence, le YIVO publie plus de cent volumes d'études et de recherches. Il collecte des milliers de manuscrits, de photos et de documents de tous types. Il organise des séminaires pour les enseignants. Il deviendra ainsi le centre d'études et d'histoire du yiddish et de la culture juive d'Europe centrale2.

Source : site Internet du YIVO, Center for Jewish History. Voir d'abord la fiche méthodologique sur les archives américaines sur ce site.

1. Voir à ce sujet : L'amour du yiddish, Régine Robin, Editions du Sorbier, 1984 ; Yiddish, histoire d'une langue errante, Jean Baumgarten, Albin Michel, 2002 ; Yiddish, mots d'un peuple, peuple de mots, Miriam Weinstein, Autrement, 2003 ; Brasier de mots, Rachel Ertel, Liana Levi, 2003.

Pour toutes les « traductions » des termes yiddish utilisées dans ces pages (shnorer, shlimazel, shlemiel, shmate, mensh, yourtseït, etc.), voir : Les joies du yiddish, Leo Rosten, Le livre de Poche, 1995.

2. Le YIVO est encore aujourd'hui une source d'information importante sur le monde juif. La fiche méthodologique sur les archives américaines donne plus de détails sur le YIVO.

haut de la page