La politique de la France en matière de naturalisation pendant la guerre
Le gouvernement de Vichy va opérer :
- 15 154 dénaturalisations
- 446 déchéances de nationalité
Les naturalisations sont considérablement restreintes.
La déchéance vise ceux qui ont quitté la France en mai-juin 1940, puis tous les résistants (lois du 22 juillet 1940 et du 23 février 1941).
La dénaturalisation (loi du 23 juillet 1940) permet de retirer la nationalité à tous ceux qui l'ont acquise depuis août 1927, pour « des raisons d'opportunité et pour rectifier les errements du passé. »
Pour ce qui concerne les naturalisations, un nouveau code de la nationalité est mis en chantier. Mais deux logiques (restrictionniste et raciste) s'affrontent jusqu'en 1944. Le projet de loi du 9 août 1940 est longuement controversé. Il aboutit à la signature d'une loi en octobre 1943, mais les autorités allemandes la refusent, car trop libérale à l'égard des Juifs qui pourraient encore acquérir la nationalité dans des conditions légales, et à l'égard des résistants dont les conditions de déchéance sont jugées trop restrictives. Le statut d'enfants nés en France de soldats allemands et de femmes françaises trouble également les autorités allemandes. Le nouveau code de la nationalité est ainsi définitivement enterré. Le commandement allemand juge finalement que toute nouvelle codification de droit français est indésirable pendant le temps de l'armistice. La loi de 1927 reste donc formellement valable, mais de très nombreuses restrictions seront appliquées en pratique.
En juin 1941, Xavier Vallat demande à être consulté sur toutes les demandes de naturalisation d'étrangers de race juive. Les très rares demandes seront refusées.
Le droit du sol qui permet aux enfants nés en France de parents étrangers de devenir Français ne sera pas mis en cause malgré de nombreux débats. D'après le premier projet d'août 1940, la faculté pour les parents de faire naturaliser leurs enfants mineurs nés en France serait supprimée ; en revanche, ces enfants pourraient devenir français à l'âge de 16 ans par déclaration, ou à leur majorité à 21 ans. Xavier Vallat, Commissaire général aux affaires juives, demande en août 1941 que la possibilité d'acquérir la nationalité à 16 ans soit supprimée, mais qu'elle demeure possible à 21 ans car empêcher les enfants majeurs d'accéder à la nationalité « aurait l'inconvénient de favoriser l'intéressé par rapport aux Français astreints au service dans les chantiers de jeunesse » ! Le Garde des Sceaux refuse cette distinction, puisqu'en droit, la première possibilité n'est qu'une manifestation anticipée de la seconde…
Ainsi, en août 1941, en pleines rafles des Juifs en région parisienne, le débat juridique sur la cohérence des articles 3 (pour les mineurs) et 4 (pour les majeurs) bat son plein. Il est vrai que l'on n'arrête encore que les Juifs étrangers.
Le projet finalisé d'octobre 1943 maintient le double droit du sol.
Mais puisqu'il ne sera pas adopté, la loi de 1927 demeure en vigueur. Les enfants nés en France de parents étrangers peuvent donc accéder à la nationalité par déclaration des parents avant leur majorité ou automatiquement à 21 ans. Le gouvernement laisse jouer ce mécanisme d'intégration, sauf pour les Juifs à partir de juillet 1941 : il est en effet ordonné aux parquets de surseoir à leurs enregistrements. Selon Patrick Weil, qui a consulté des registres de province, les demandes étaient rapidement satisfaites jusqu'au milieu de 1941 ; en revanche, à partir de juillet, la mention « Juif » est apposée et il est sursis à la demande… jusqu'en 1945.
La loi de juillet 1940 concernant les dénaturalisations n'indique pas de cause particulière de retrait. La déchéance de la loi de 1927 atteint donc potentiellement 900 000 personnes, adultes naturalisés et enfants ayant acquis la naturalisation par déclaration. Des commissions se mettent en place très vite et traitent d'abord les dossiers des adultes. Mais s'il s'agit de familles, le cas de tous ses membres est traité, même si certains ont été naturalisés avant 1927 ou si des enfants sont nés en France de parents déjà naturalisés.
En 1944, la Commission aura traité 666 594 dossiers.
Elle commence par examiner les dossiers de l'année 1936 (celle du Front Populaire !) puis procède année par année : 1939, 1940, puis 1937, 1938, puis remonte dans l'ordre avant 1936. Le réexamen concerne en priorité les Juifs qui doivent être dénaturalisés (« retrayés » dit-on à l'époque) dans leur très grande majorité, sauf s'ils sont prisonniers de guerre ou s'ils présentent un « intérêt exceptionnel ». La Commission n'utilise pas le fichier juif de la Préfecture de police, qui est encore partiel et ne concerne que la zone Nord ; elle se fonde donc sur des indices, tels les noms de famille, les prénoms ou des actes de naissances (émis souvent par les autorités religieuses dans les pays d'Europe centrale) figurant dans les dossiers de naturalisation.
Les non Juifs dénaturalisés sont ceux qui ont commis des délits ou « manifesté des opinions ou des activités contraires à l'intérêt national. » Certains Italiens demanderont à être dénaturalisés puisque c'était la condition pour pouvoir retourner en Italie.
Au total, 3,1 % des 485 200 personnes naturalisées entre 1927 et août 1940 ont été dénaturalisées entre 1940 et 1944, soit 15 154 personnes ; 78 % des dossiers examinés concernaient des Juifs.
23 648 Juifs avaient été naturalisés de 1927 à 1940 (4,9 % du total des naturalisés). Fin août 1943, 30 % des Juifs étaient dénaturalisés (7 053 personnes).
L'écrasante majorité des dossiers de Juifs examinés se traduisait par un retrait. Mais la procédure était jugée trop lente. En septembre 1942, le ministère de la Justice est dessaisi du dossier au profit de René Bousquet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur pour la police. Il propose de dénaturaliser en bloc tous ceux qui avaient été naturalisés depuis le 1er janvier 1932. La police française et le gouvernement ne souhaitent en effet pas être associés officiellement à l'arrestation de Juifs français. Ils faut donc les dénaturaliser. La loi et le décret sont prêts en avril 1943. Mais les autorités allemandes souhaitent que la date prise en compte soit 1927 et non pas 1932. Les autorités françaises acceptent, mais certains articles imposés par les Allemands (la femme juive qui a épousé un Juif auquel la nationalité a été retirée perd sa nationalité française même si elle était française de naissance) leur posent problème. Laval stoppe la promulgation de la loi.
La procédure initiale est donc maintenue, mais le personnel des commissions est sensiblement augmenté. Les dénaturalisations s'accélèrent (1 555 en septembre 1943). Il reste encore plus de 14 000 dossiers à examiner, plus ceux des enfants nés en France de parents étrangers.
Mais en août 1943, la Gestapo dénonce l'accord passé avec Bousquet, à savoir l'exception provisoire permettant aux Juifs français de ne pas être déportés.
La question de la dénaturalisation des Juifs ne se pose ainsi plus…
37 % des Juifs qui avaient été naturalisés entre 1927 et 1940 ont été dénaturalisés.
57 % des dénaturalisations ont concerné des Juifs.
Sources :
La France et ses étrangers. L'aventure d'une politique de l'immigration de 1938 à nos jours, Patrick Weil, Folio actuel, 1995.
Qu'est-ce qu'un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Patrick Weil, Grasset, 2002.