Le camp de Treblinka
Treblinka a fonctionné pendant seize mois, du 23 juillet 1942 à novembre 1943. En seize mois, 800 000 à 900 000 personnes ont été gazées1. Essentiellement des Juifs de Varsovie et de sa région, mais également des Juifs de Radom, de Lublin, de Bialystok, et de l’étranger : URSS, Tchécoslovaquie, Allemagne, Autriche, France, Belgique, Grèce, Yougoslavie, Bulgarie ; et aussi des Tsiganes. Au début, du 23 juillet à la mi-août, 5 000 à 7 000 déportés arrivaient chaque jour. Puis il y en eut jusqu’à 10 000 à 12 000 par jour.
À quatre kilomètres du tout petit village Treblinka, mais sur un site isolé, en pleine forêt, dans une région sableuse et marécageuse, existait déjà un camp pour Polonais, qui fonctionna de l’automne 1941 à juillet 1944 (Treblinka I). À partir du printemps 1942 fut construit, à trois kilomètres du premier, le camp d’extermination de Treblinka (Treblinka II).
Sur la ligne de chemin de fer Varsovie-Bialystok, vers l’Est, se trouve Malkinia. De là partait un embranchement qui conduisait à Treblinka, sur la ligne de Sieldce, vers le Sud. La plupart des convois ont emprunté la ligne Varsovie-Bialystok ; mais certains, notamment ceux du Sud-Est de la Pologne, et en particulier du district de Garwolin (donc ceux de Zelechow), sont venus par Sieldce.
Les trains de voyageurs continuaient de passer par la gare de Treblinka, mais ne s’y arrêtaient plus.
Raul Hilberg souligne que « les opérations qui se déroulaient dans le calme, sans incidents ni obstacles, se voyaient souvent qualifiées de "reibungslos" (littéralement : sans friction). Les chemins de fer fermèrent la gare de Treblinka au trafic normal de voyageurs pour permettre l’acheminement reibunglos de transports juifs jusqu’au camp », selon les termes d’une correspondance de la division des trains spéciaux aux gares du tronçon Sieldce-Ostroleka2. Il y avait plusieurs voies de stationnement, où attendaient les trains de marchandises et même exceptionnellement quelques trains « normaux », essentiellement avec des déportés venant d’Europe de l’Ouest. Les trains de déportés, en général de 60 wagons, étaient fractionnés en trois avant d’être dirigés vers le camp : les chambres à gaz ne pouvaient pas absorber tout un train en même temps. Si les trains de voyageurs ne s’arrêtaient plus à la gare de Treblinka, les paysans polonais du village pouvaient y circuler librement, même si les convois de déportés étaient gardés par des SS et des Ukrainiens.
Un embranchement à voie unique partait de la station de Treblinka, et s’enfonçait dans le bois, vers le camp. Ce camp devait être maintenu secret : on dit que deux cheminots allemands, jugés sûrs, devaient prendre les commandes du train à la gare de Treblinka ; mais des cheminots polonais ont témoigné avoir mené les trains. Les conducteurs n’entraient pas dans le camp : les wagons étaient poussés par la locomotive, de l’arrière. Les gardiens qui accompagnaient les convois devaient aussi rester à l’extérieur du camp. Lorsque les wagons arrivaient, les SS et les Ukrainiens du camp prenaient la relève des gardiens.
À l’arrivée au camp, une gare a été construite pour semer l’illusion : bâtiments, panneaux indicateurs, etc. laissaient croire qu’il s’agissait d’une gare comme les autres, puisqu’on disait aux Juifs qu’ils allaient travailler à l’Est. Seule l’horloge était factice : elle indiquait toujours 18 heures. Dans le plan du camp qu’il a dessiné, Samuel Willenberg indique l’emplacement d’une « longue baraque, avec une grande inscription « Obermajdan »3. Sur le mur extérieur, une horloge cassée et sur la porte l’inscription « Caisse ». Une porte fermée avec l’inscription « Vers la salle d’attente de première classe ». Une porte fermée avec l’inscription « Vers la salle d’attente de deuxième classe ». Une porte fermée avec l’inscription : « Vers la salle d’attente de troisième classe ». La baraque servait en réalité d’entrepôt aux objets de valeur pris aux victimes. »
D’après des documents des procès d’après-guerre, un grand panneau annonçait en polonais et en allemand : « À l’attention des Juifs de Varsovie ! Vous êtes dans un camp de transit à partir duquel se fera le transport vers des camps de travail. Pour prévenir les épidémies, les vêtements et bagages doivent être désinfectés. L’or, l’argent, les devises et les bijoux doivent être déposés à la caisse contre un reçu. Ils seront rendus plus tard sur présentation du reçu. Pour l’hygiène, tous les arrivants doivent prendre un bain avant de poursuivre le voyage. »
Les wagons qui entraient dans le camp étaient directement conduits vers une rampe, puis vidés. Les morts étaient nombreux. Les hommes et les femmes étaient séparés et amenés vers les baraques de déshabillage. Puis ils étaient dirigés vers l’aire d’extermination, protégée et camouflée par de grands murs, des barbelés et des branchages.
Un boyau (Schlauch) étroit menait des baraques aux chambres à gaz. Il était enserré dans des barbelés et des branchages, changés régulièrement, de sorte que les déportés ne puissent rien voir à l’extérieur. Tous les témoignages en racontent les cris, les chiens, les coups.
Les Allemands appelaient ce chemin « le chemin du ciel » (Himmelweg). Les détenus juifs nommaient hevra kaddisha le commando juif qui devait aider les Allemands à conduire les arrivants aux chambres à gaz, en référence à la confrérie chargée de la pratique religieuse de la préparation du corps du défunt pour l’inhumation.
Les femmes et les enfants étaient gazés en premier. Au début, trois chambres à gaz fonctionnaient au moteur diesel. Le monoxyde de carbone sortait des pommeaux de douche. Puis dix nouvelles, plus grandes, furent construites, en septembre 1942 ; 4 000 personnes pouvaient être gazées en un quart d’heure, au lieu de 600 dans les anciennes4.
Devant le nouveau bâtiment des chambres à gaz de Treblinka avait été accroché un rideau noir provenant d’une synagogue, sur lequel était écrit en hébreu : « C’est la porte par laquelle les Justes peuvent entrer ». Une étoile de David ornait le fronton de l’entrée5. Dans les chambres à gaz, les adultes devaient avoir les bras levés pour prendre moins de place ; les enfants étaient mis au-dessus.
Derrière les chambres à gaz, les corps étaient jetés dans des fosses communes, que des excavateurs creusaient en permanence. C’était l’opération la plus longue. Les corps putréfiaient. Puis l’ordre vint de Himmler, au printemps 1943, de les brûler. Un gigantesque four fut construit en plein air. Poutres et rails dessinaient une grille géante où les corps étaient mis avec du bois et de l’essence ; ils brûlaient jour et nuit. La fumée s’élevait haut dans le ciel. Les excavatrices et des détenus ont sorti les corps décomposés, jetés initialement dans les fosses communes, pour les brûler. Les cendres étaient dispersées sur deux aires, sur les côtés ; puis, devant l’ampleur, jetées dans les fosses vidées des cadavres, et recouvertes de terre.
À la descente du train, les vieux et les malades, qui ne pouvaient pas être envoyés vers les chambres à gaz, étaient conduits à l’hôpital (Lazarett), surmonté d’une croix rouge, mis sur un banc au fond du bâtiment et fusillés. Ils tombaient directement dans la fosse commune.
Pendant ce temps, les wagons qui avaient amené les déportés étaient nettoyés et repartaient à vide. La Reichsbahn – les chemins de fer allemands – planifiait consciencieusement les ordres de route pour ces « trains spéciaux » ; elle était payée par la Gestapo pour ce service, au prix du kilomètre ; le retour à vide était gratuit, seul l’aller simple était facturé, demi-tarif pour les moins de dix ans et gratuit pour les moins de quatre ans. Il y eut même des tarifs de groupe négociés par la Gestapo6.
Les soldats allemands (25 à 30) habitaient dans le camp7. Les gardes ukrainiens (une centaine) habitaient à Poniatowo, un petit village8.
Les premiers déportés à Treblinka, le 23 juillet 1942, ont été ceux du ghetto de Varsovie, dont la première grande vague de déportations eut lieu pendant l’été. Puis vinrent les petites communautés du Sud de Varsovie, puis celles du Sud-Est, et celles du Nord. Puis des convois des ghettos des districts de Radom, quelques uns de Lublin, et ceux de la région de Bialystok. A la fin de 1942, comme l’avait demandé Himmler, la majorité des Juifs du Gouvernement général avait été exterminée.
Les Milewski et les Ryfman en faisaient partie. Probablement. Certainement pour une partie d’entre eux.
Les déportations à Treblinka
Source : Belzec, Sobibor treblinka, the Operation Reinhardt death camps, Ytzak Arad, Indiana University Press, consultable plus lisiblement sur le site holocaust-info.
Des images du fonctionnement du camp
Source : Yad Vashem
Source : Samuel Willenberg, Revolt in Treblinka.
Sources :
Sites internet sur Treblinka.
Yad Vashem (pour la photo de l'extérieur du camp).
Les photos de l'excavatrice proviennent de l'album personnel de Kurt Franz, adjoint au Commandant du camp Stangl, puis Commandant lui-même à partir d'août 1943.
1. Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Fayard, 1988, dit 750 000 au total.
2. Holocauste : les sources de la mémoire, Raul Hilberg, Gallimard, 2001.
3. « Obermajdan » était le nom que les Allemands avaient donné à Treblinka. En Pologne, ce nom ne trompait pas grand monde. Mais des Juifs venant de l’Ouest pensaient aller travailler à Obermajdan. Certains avaient même dû acheter un billet pour cette destination de travail.
4. Dans les trois camps de l’opération Reinhardt, les chambres à gaz furent agrandies. Himmler avait en effet donné l’ordre que les Juifs du Gouvernement général soient tous exterminés avant la fin de l’année 1942.
5. Les Allemands avaient le souci du détail ; de même, les murs du ghetto de Cracovie étaient en forme de tables de la Loi.
6. Raul Hilberg, op. cit.
7. Raul Hilberg, op. cit., rapporte qu’ « un officier SS exploitait l’ironie par inversion primaire en dressant son chien Barry à attaquer et à blesser gravement des détenus juifs. Il appela son chien « homme » (Mensch) et la victime désignée « chien » (Hund). Il incitait l’animal à attaquer en lui ordonnant : « Homme, mords le chien » (Mensch, fass’ den Hund). » De nombreux témoignages parlent de ce SS Kurt Franz et de son chien Barry.
8. Ne pas confondre avec le camp de Poniatowa où ont été envoyés les derniers survivants du ghetto de Varsovie.