L’opération Reinhardt
Un plan de liquidation des 2,3 millions de Juifs du Gouvernement général (districts de Varsovie, Cracovie, Lublin, Radom et Lvov) fut élaboré dès l’automne 1941. Il consista en la construction des trois camps d’extermination de Belzec, Sobibor et Treblinka.
Le 20 janvier 1942, la « conférence de Wannsee », tenue dans un faubourg de Berlin, planifia et organisa la « Solution finale à la question juive » en Europe, alors qu’avaient déjà commencé les gazages à Chelmno et les tueries en URSS, et que Belzec était en construction. Quinze dignitaires nazis y participèrent. Elle fut organisée par Reinhard Heydrich, le chef de l’Office central de la sécurité du Reich, bras droit de Himmler et gouverneur de fait du protectorat de Bohême-Moravie.
La Solution finale fut définie à Wannsee comme l’évacuation à l’Est et l’élimination des communautés juives européennes, évaluées à au moins 11 millions de personnes, par un « traitement approprié » de ceux qui résisteraient à la sélection naturelle par le travail1. Il fut prévu que la Solution finale commence sur le territoire du Gouvernement général de Pologne, où la question juive devrait être réglée le plus vite possible et relèverait de la compétence de Heydrich lui-même.
Des travaux récents d’historiens montrent que la Solution finale ne fut pas décidée à Wannsee, mais auparavant. Heydrich joua un rôle essentiel dans sa mise en œuvre. Le plan de liquidation des Juifs du Gouvernement général fut nommé « Aktion Reinhardt » (opération Reinhardt)2.
Les tâches de la direction de l’opération étaient précises : définir le plan d’ensemble des déportations et de l’extermination, coordonner la déportation des Juifs des différents districts vers les camps, organiser l’assassinat des déportés, mettre en sécurité leurs biens et les transférer à l’autorité allemande appropriée.
Les constructions débutèrent en octobre 1941 (Belzec), mars 1942 (Sobibor) et avril-mai 1942 (Treblinka). Les camps étaient isolés et camouflés. Pour la construction des chambres à gaz ont été employés des ouvriers expérimentés, formés dans les programmes précédents d’euthanasie. Les premiers déportés ont été ceux des villes voisines : Lublin à Belzec et Sobibor, Varsovie à Treblinka.
Les trois camps étaient organisés de la même manière :
- vingt à trente SS3, dont la plupart avaient participé aux programmes d’euthanasie, et qui étaient tous gradés ;
- des unités de soixante à cent vingt « Ukrainiens »4, entraînés dans un camp spécial (Trawniki), mis sous la responsabilité d’un Allemand « de souche » ;
- de 600 à 1000 prisonniers, pris parmi les déportés, qui étaient chargés de transporter les vêtements, les corps et les cendres. Au début, ils n’étaient utilisés que quelques jours, avant d’être eux-mêmes tués et remplacés par de nouveaux arrivants ; puis ils furent constitués en groupes plus stables, « spécialisés » par tâche.
Belzec fonctionna de mars 1942 à mars 1943, Sobibor de mai 1942 à octobre 1943, Treblinka de juillet 1942 à novembre 1943. Le nombre de victimes ne sera jamais connu avec précision, mais les historiens estiment qu'environ 1,7 million de Juifs y périrent : 850 0005 à Treblinka, 600 000 à Belzec, 250 000 à Sobibor.
Sources :
Belzec, Sobibor, Treblinka, the Operation Reinhard Death Camps, Arad Yitzhak, Indiana University Press, 1987.
Operation Reinhard : the Extermination Camps of Belzec, Sobibor and Treblinka, Aharon Weiss, Yad Vashem Studies XVI, Jérusalem, 1984.
Sur la conférence de Wannsee, Christian Gerlach, Liana Levi, 1999.
Heydrich et la solution finale, Edouard Husson, Perrin, 2008.
Le procès Eichmann, Annette Wieviorka, Editions Complexe, 1961.
1. La lecture du protocole de Wannsee, disponible sur Internet, est particulièrement instructive. Voir par exemple cette traduction française.
2. À l'origine, l'action semble tirer son nom de Fritz Reinhardt, Staatssekretär au ministère des Finances du Reich, avant de changer de signification avec la mort de Reinhard Heydrich à Prague, à la suite d'un attentat de la résistance tchèque le 27 mai 1942.
3. SS = Schutz Staffel (échelon de protection). Organisation paramilitaire et policière créée en 1925. Garde personnelle d’Hitler au début, elle comportait 240 000 membres en 1939 et un million en 1945.
4. Les « Ukrainiens » étaient des formations auxiliaires de la police allemande, composées d’anciens citoyens de l’URSS. Les Polonais les appelaient tous des Ukrainiens.
5. 750 000 selon Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, Fayard, Paris, 1988.