À la veille de la guerre
À l'approche de la guerre, la célébration du 150e anniversaire de la Révolution française en 1939 fut l'occasion pour les Juifs français de réaffirmer leur fidélité à la nation française et à l'émancipation des Juifs qu'elle avait permise ; fut honoré le combat des Juifs aux côtés des Français pendant la guerre de 1914-1918. Les sociétés avaient été empêchées de participer aux commémorations par un décret-loi d'avril 1939 soumettant toutes les associations étrangères autres que religieuses à une autorisation du ministre de l'Intérieur. La Fédération des sociétés juives de France1 avait, de ce fait, anticipé sa manifestation au 15 juin ; elle y parla surtout de la dette des immigrés de l'Est envers la France, sans évoquer les décrets d'exclusion.
Le gouvernement adopta en avril 1939 un décret autorisant les étrangers à s'enrôler dans l'armée française. Les Juifs immigrés et réfugiés y répondirent massivement : volonté de combattre le nazisme, preuve de leur loyauté envers la France, ou parfois même moyen d'éviter l'expulsion ou l'internement ; plusieurs milliers de Juifs s'inscrivirent dans des bureaux ouverts par les organisations juives elles-mêmes. On estime que parmi les étrangers engagés, les Juifs constituaient la majorité. Le ministère de la Défense nationale s'affola, critiquant le zèle des organisations juives et demandant l'interruption des inscriptions.
Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 plongea la Communauté juive dans le désarroi, et tout particulièrement les communistes juifs. Un grand nombre d'entre eux annoncèrent publiquement qu'ils étaient prêts à défendre la France et continuèrent à appeler à s'engager dans l'armée.
Aux yeux de tous, la France restait un pays de fraternité et de solidarité, malgré les mesures d'exclusion économique et d'expulsions, et la montée de l'antisémitisme.
Pourtant, les Juifs étrangers seront les plus touchés par les arrestations et les déportations. Pour l'ensemble du territoire français, disparaîtront :
24 % des Juifs (80 000)
41 % des Juifs étrangers (55 500)
13 % des Juifs français (24 500, dont 8 000 étaient des enfants nés en France de parents étrangers ou apatrides, et 8 000 étaient des Juifs naturalisés).
Les immigrés juifs dans l'armée polonaise en France
On ne connaît pas précisément le nombre d'engagés volontaires juifs. Il y en aurait eu de l'ordre de 40 000. Tous les engagés n'ont pas été appelés. Selon une estimation, 16 000 volontaires juifs étrangers ont été incorporés, sur 82 000 étrangers inscrits. Ils ont d'abord été incorporés dans l'armée française. Puis tous les Polonais, juifs ou non, ont été incorporés dans l'armée polonaise qui se constituait en France, en Bretagne. Sous les ordres de l'état-major français, celle-ci comportait 17 000 hommes en octobre 1939, puis 80 000 hommes dont 50 000 recrutés en France en juin 1940. Face aux manifestations d'antisémitisme qui eurent lieu à l'intérieur même de cette armée, les Juifs ont demandé à être réincorporés dans l'armée française… Le ministère de la Défense français décida secrètement en mars 1940 que les « déserteurs » de l'armée polonaise pouvaient être accueillis dans la Légion étrangère sous des noms d'emprunt afin que le gouvernement polonais ne puisse les réclamer !
Une cérémonie rue Notre-Dame-de-Nazareth
Le 15 octobre 1939, l'Union des Juifs polonais de France organisa une cérémonie religieuse pour la Pologne à la synagogue de la rue Notre-Dame-de-Nazareth, en présence du chef du gouvernement polonais et de l'armée en exil, le général Sikorski, qui fut applaudi lors de son départ du Temple.
Sources :
Les Juifs à Paris de 1933 à 1939, David H. Weinberg, Calmann-Lévy, 1974. Les références bibliographiques y sont très nombreuses.
Conférences données par Philippe Boukara à la Maison de la culture yiddish en 2002.
Les Enfants de papier, Didier Epelbaum, Grasset, 2002.
1. Voir le repère sur les organisations juives en France avant la guerre.